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Le président Christian TIREFORT propose ce texte aux comités genevois du SLP et de l’USL au début de l’automne 1982: il veut montrer comment cette société capitaliste en pleine crise liquide « ses canards boiteux », et comment les travailleurs se sont défendus contre la « perte des emplois ». Ensuite la question « Que faire ? » sera posée avec des réponses possibles …

Les comités l’adoptent et le complètent avec les parties mises [*rouge*] ci-après.

La brochure est imprimée à 2000 exemplaires au format A5 – à l’intention des membres des deux sections, et diffusée simultanément à toutes les instances syndicales au niveau national.

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[*Suder SA

Où sont les vrais responsables ?

Une faillite qui n’était pas inéluctable…

Mais l’Etat voulait liquider ?

SLP-USL
Syndicat du livre et du papier, Genève – Union suisses des lithographes, Genève*]

L’affaire Studer SA illustre parfaitement un des processus du capitalisme : celui d’une entreprise en particulier dans un cadre général de crise.

[->doc1121]En essayant d’analyser chacune des étapes menant à la fermeture de l’entreprise, nous verrons que tous les protagonistes de la société capitaliste sont d’une manière ou d’une autre impliqués dans cette affaire. Le patron, le banquier, l’avocat patronal privé, l’Etat avec deux départements clefs, justice et police et économie publique, le parlement cantonal face aux travailleurs et leurs organisations syndicales: le Syndicat du Livre et du Papier et l’Union Suisse des Lithographes.

On remarque immédiatement que face aux protagonistes bourgeois la seule force organisée était représentée par les syndicats. Les partis politiques de gauche ont été d’un poids égal à zéro alors que les travailleurs dès le sursis concordataire voyaient leur ennemi personnifié dans la chose politique par excellence: l’Etat.

Ceci souligne l’évidence suivante: en refusant de prendre leurs responsabilités politiques, les partis de « gauche » se sont affaiblis eux-mêmes, mais surtout ont affaibli la classe ouvrière en général. Sur le plan politique, cette dernière est devenue un simple appendice de la bourgeoisie.

Les partis politiques devraient rechercher les causes de cette évidence dans leurs erreurs de ligne qui les empêche de s’enraciner dans la classe ouvrière.

Quant à nous, nous pouvons constater que leur principale erreur provient du fait qu’ils ne se distinguent en rien, [*quant au fond,*] des partis bourgeois: tout comme ces derniers ils confinent la classe ouvrière dans un rôle passif, [*celui de subordonner la lutte pour la défense de ses intérêts économiques au capitalisme, et de plus dans les limites du parlementarisme*] limiter sa lutte à la défense d’intérêts économiques dans le cadre du système capitaliste.

Nous pouvons aussi constater que cette politique affaiblit y compris les syndicats: dans l’affaire Studer il leur a été extrêmement difficile de s’accrocher à une ligne qui proclame ouvertement qu’une autre société est possible, qu’il n’y a pas que la société capitaliste possible, mais que la société dans laquelle les travailleurs sont maîtres n’est pas seulement une hypothèse, mais qu’elle devient une nécessité. Le projet de cette société n’existant dans aucun parti il était extrêmement difficile, comme syndicat, de l’opposer à la société des Borner, Fontanet, à la société que défend l’état bourgeois.

Comment cette société capitaliste en pleine crise liquide « ses canards boiteux », tel est l’objet de cette brochure. Comment les travailleurs se sont défendus contre la « perte des emplois » est le sujet de cette brochure. Ensuite la question « Que faire ? » sera posée avec les réponses possibles aujourd’hui.

« L’affaire Studer » ressemble à une pièce comportant trois actes et une multitude de tableaux.

{{{***Premier acte}}}

Le premier acte commence en 1974 avec le début de la crise en Suisse. Studer SA a connu jusque là une progression constante. D’imprimerie moyenne elle s’est transformée en une grande entreprise occupant plus de 150 personnes. Elle est découpée en deux départements, le département typographie et le département offset. Elle possède une dizaine de machines typos et une dizaine de machines offset, dont 2 quatre couleurs et 4 deux couleurs. Elle dispose d’un personnel très qualifié. La syndicalisation est quasi totale, à raison de 2/3 du personnel affilié à la FST (aujourd’hui SLP) et l’autre tiers à l’USL.

On sent les premiers effets de la crise avec l’annonce de licenciements à la Tribune de Genève. A ce moment, et simultanément survient le krack d’IOS. Studer SA saisit l’occasion pour licencier une dizaine de travailleurs.

Parallèlement doit s’organiser le transfert de père en fils des pouvoirs sur l’entreprise. Le père a 65 ans. Le fils sort de la Faculté des sciences sociales socio à l’Université. Il n’est visiblement pas fait pour diriger une entreprise. Avec le krack d’IOS l’entreprise a certainement subi une perte importante. Néanmoins elle semble très vite compenser par d’autres commandes la perte du client IOS. On reparle tout de suite après d’heures supplémentaires à Studer SA. En 1974-1975 la société prend des parts dans une imprimerie de formulaires en continu qui vient s’installer dans une aile du bâtiment. Dès lors les bureaux d’Aloma se confondent avec ceux de Studer SA. Son directeur et propriétaire principal devient également membre du conseil d’administration de Studer SA.

Le premier acte dure jusqu’en 1978.

{{{***Deuxième acte}}}

La plupart des entreprises sont en plein chambardement technologique. Les méthodes de composition plomb laissent rapidement la place à la photocomposition. Dans certaines entreprises, dont Studer SA, subsistent cependant trois types de composition : le plomb, la monophoto (à partir d’un clavier monotype sort une bande de composition film à la place de lignes de plomb), la photocomposition.

En automne 1978 la direction de l’entreprise annonce une dizaine de nouveaux licenciements. Cette fois-ci la commission ouvrière refuse, elle dépose un préavis de grève adopté à bulletins secrets par plus du 80%, du personnel.

Personne ne fut licencié, cependant aucun départ naturel ne fut compensé.

Le passage des travaux plomb au film réduisait considérablement les temps de production. Cela avait pour effet de réduire le personnel sans que la masse des travaux ne diminue.

Une année plus tard, en 1979, c’est la bombe : 13 personnes sont licenciées, pratiquement toutes du département plomb.

Argument patronal: la nécessité de liquider le département plomb pour rationaliser la production et aussi « sauver » l’entreprise.

[->doc1111]La réaction du personnel et des syndicats est immédiate. Un ultimatum est lancé avertissant la direction qu’une grève éclaterait à la première lettre de licenciement reçue. L’ultimatum est lancé sans effet. La direction devient consciente de son erreur lorsque la grève commence. Elle se rendit vite compte qu’il était possible d’obtenir le même résultat sans licencier. La grève dura quatre jours et, finalement, après un nombre impressionnant d’heures de négociation, un accord aux termes duquel les délais de congé seraient prolongés tant que des emplois équivalents [*n’auraient pas été*] ne seraient pas trouvés fut signé.

Studer SA est la seule entreprise de Genève qui tenta de liquider son département plomb en licenciant purement et simplement le personnel concerné. Les décisions de la direction apparaissaient de plus en plus incohérentes. Malgré un important volume de travail tout se passait comme si l’entreprise se heurtait à un mur invisible. On sentait qu’elle était prise dans un processus étranger à son volume de travail et à sa manière de le produire.

Il était devenu visible que l’entreprise se débattait contre les limites du capitalisme, son processus implacable dans lequel la production est un facteur secondaire, le principal étant la rentabilisation du capital investi. A force de remettre le paiement des prêts bancaires au profit probablement du remboursement accéléré de l’immeuble, les taux d’intérêt sont montés. Pour payer l’intérêt bancaire, il a fallu abandonner le paiement de certains fournisseurs et finalement augmenter encore les charges de l’entreprise en reprenant des hypothèques sur l’immeuble.

Du côté des travailleurs, dès 1980, cela se traduisit par des retards dans les livraisons de matières premières. Les fournisseurs refusaient purement et simplement de livrer sans être payés comptant.

Il faut être clair ici. La production ne posait que des problèmes secondaires. Le parc de machine aurait pu être renouvelé selon diverses formules (par exemple leasing) même sans liquidités. Ce qui emprisonnait Studer SA c’était la domination du capital financier, en particulier bancaire, qui faisait que les banques avaient la maîtrise, avaient mis la gestion de l’entreprise sous tutelle.

Dans ce cadre il est absurde de prétendre que Studer SA manquait de gestionnaire. Une grande banque de la place [*en*] avait même délégué un gestionnaire, ce qui , d’où qu’il n’est pas faux de dire que l’entreprise était gérée dès 80 par la banque en question. L’entreprise a vu ses crédits bloqués volontairement.

Certes des erreurs de gestion ont été faites. Par exemple d’immenses ateliers sont restés inutilisés alors que les surfaces auraient dû d’être louées. Mais là aussi ça n’a rien à voir avec la production.

Le patron de l’entreprise, et très certainement la majorité des travailleurs, ont eu une erreur de jugement. Ils pensaient qu’il suffisait de produire vite et bien pour s’en sortir. Ils ont produit non seulement vite et bien, mais en plus beaucoup, et cela n’a servi à rien. Face au capital [*financier,*] la seule chose qui serve à quelque chose, c’est de faire du profit pour que les intérêts rentrent régulièrement et viennent grossir le capital bancaire.

Dans tout le processus, dès ce jour, on assiste à un conflit entre la production et le capital bancaire apparaissant dans les livres de comptes comme des prêts bancaires.

En période de crise, les taux d’intérêt [*commencent à monter*] montent inévitablement.

La plus-value [*1)*] créée dans la production est littéralement pillée par les taux d’intérêt en progression. Les réserves, ou le profit d’entreprise, s’amenuisent.

La hausse des taux d’intérêt provient de la difficulté croissante, dans la crise capitaliste, de réaliser[* 2)*] la plus-value. Cette difficulté provoque une forte demande en argent pour rembourser les traites. Cette forte demande en argent provoque la hausse des taux d’intérêt.

Dès lors on entre dans le troisième acte la liquidation.

[*1) La plus-value est la différence entre le temps de travail payé (= salaire) et le temps de travail non payé. Elle est permise par le fait que le salaire comprend ce qui est nécessaire à la survie du producteur et de sa famille, tandis que la durée du travail est plus longue que ce qui est nécessaire au payement de ce salaire.
2) Réaliser la plus-value c’est transformer la valeur marchande ne argent, c’est-à-dire vendre la marchandise. Toute la plus-value est déjà dans la marchandise avant la vente, donc aucune valeur n’est ajoutée dans le processus de vente.*]

{{{***Troisième acte : la liquidation}}}

Eté 1981, au mois de juin, la direction de l’entreprise informe la commission ouvrière qu’elle ne peut pas garantir les salaires de juillet. La raison invoquée paraît au départ plausible: un client, les Editions Famot, n’ont pas payé les termes. Le trou est de 500 000 francs suisses. Il peut en effet y avoir des problèmes de liquidités dans ces cas.

Cependant un mois plus tard, on apprenait qu’un accord était intervenu pour le paiement des traites de Famot, mais le problème les paiements des salaires restaient tout autant précaires.

La suspension des travaux Famot provoqua une période de chômage partiel. La commission ouvrière préféra cette solution à des licenciements. Après une courte période de chômage partiel, la rentrée normale des commandes fit un moment croire au dépassement des difficultés de l’entreprise: elle travaillait à plein et devait même faire des heures supplémentaires.

Au mois d’août, la direction l’entreprise demandait un sursis concordataire. Elle présenta la chose comme une simple mesure permettant de redresser la situation financière de l’entreprise.

Au mois de septembre, le personnel de l’entreprise Studer SA et celui d’Impressa (une imprimerie petite à moyenne) étaient informés pour le premier que l’entreprise était vendue, pour le deuxième qu’il devrait déménager chez Studer SA.

On croyait l’affaire réglée. La commission ouvrière et les syndicats écrivirent même une lettre réclamant qu’il n’y ait pas de licenciement, ni d’un côté ni de l’autre, et que les conditions de travail acquises soient maintenues pour tous.

Les syndicats, au début d’octobre, étaient de plus informés par l’Etat que le sursis concordataire n’avait pas lieu d’être [*prononcé*] vu la situation de l’entreprise qui allait en s’améliorant. Quinze jours plus tard, c’était la douche froide, [*Studer SA*] l’entreprise n’était pas vendue, et le sursis concordataire tout de même accordé.

Selon les commissaires au sursis, leur tâche consistait surtout à gérer l’entreprise pendant 4 à 6 mois pour voir si sa rentabilité pouvait être prouvée et pour la vendre.

Dès lors commença la valse des illusions savamment dosées, diffusées à intervalles réguliers, et de telle façon que personne n’ait la possibilité d’approcher la vérité.

Au moins 15 nouveaux acheteurs furent annoncés. On avait l’impression que le problème de la vente n’était pas de trouver des acheteurs, mais qu’il n’était qu’une question de concurrence entre eux, les commissaires n’ayant qu’à vendre au plus offrant.

Jusqu’au moment du sursis concordataire, les travailleurs étaient confrontés à une situation normale; le patron commandait. Dès l’apparition du sursis concordataire, l’Etat entrait dans le jeu.

Dès lors les travailleurs, selon le patron et les commissaires au sursis, ne s’adressaient jamais au bon endroit. Ils se renvoyaient la balle selon une division des responsabilités qui faisait qu’en dernier ressort personne n’avait aucune responsabilité. La marche dans le labyrinthe de l’Etat capitaliste commençait.

Non seulement le Département de justice et police était représenté au travers des commissaires au sursis, mais de plus le Département de l’économie publique cadrait le tout à l’intérieur des limites étroites de [*son système*] du capitalisme : trouver un acheteur suffisamment argenté ou liquider l’entreprise. Le problème de la capacité de production, de l’emploi, est bien vite balayé au profit exclusif du fonctionnement [*de la société actuelle*] du capitalisme qui prévoit avant tout la rémunération du capital. Que ce dernier ne puisse pas recevoir sa rémunération normale à cause d’une contradiction propre au capitalisme n’est même pas envisagé. La production doit servir au profit, à rien d’autre. Le chef du Département de l’économie publique (en fait [*au service*] servant du profit privé!) nous le fit savoir avec une rigueur sèche et fanatique, en nous donnant en prime un plaidoyer pour le capitalisme qui était, selon lui, le système de la liberté !

Cette liberté, c’est celle de licencier, et pour les licenciés c’est celle de se taire et de subir. Mis à part cela c’est probablement vrai que le Département de l’économie publique fit tout pour trouver un acheteur. Mais les conditions de réalisation de la plus-value dans le cadre [*actuel*] de crise du capitalisme sont telles que le capital préfère aller se fixer dans des zones où il puisse dormir en attendant des jours meilleurs. Produire c’est facile, nous dit Borner, vendre voilà ce qui est difficile. Sans le savoir M. Borner nous dit d’une manière magistrale pourquoi le capitalisme n’est plus vivable et qu’il faudra bien que les travailleurs trouvent un autre système s’ils ne veulent pas aller à la catastrophe.

Ee fait M. Borner nous démontra que dans le capitalisme, «le système de la liberté», seul le marché est libre, les gens sont les esclaves du marché. Les travailleurs y sont asservis par la contrainte du salariat, les bourgeois par l’adoration du «veau d’or», de profit.

Le rôle des commissaires au sursis concordataire était essentiellement d’être sur le terrain pour assurer la production afin de faire rentrer l’argent permettant de payer les « créances » de l’entreprise. D’autre part ces commissaires devaient au travers d’un savant dosage de nouvelles dites bonnes alternant avec des mauvaises nouvelles, à la fois maintenir un personnel suffisant à la production et saper le moral des travailleurs en vue d’une liquidation sans lutte. Il s’agissait en l’occurrence de décourager les travailleurs en les persuadant qu’il n’y avait d’autre issue pour eux que d’accepter la liquidation.

Tout d’abord ces commissaires dirent qu’ils allaient tout faire pour sauver les emplois, mais qu’il fallait pour ce faire travailler, produire le plus possible.

Ensuite ils informèrent que les murs étaient vendus. Enfin, ils annoncèrent carrément que l’entreprise serait réduite, mais que plusieurs acheteurs s’y intéressaient.

Ce petit jeu nous mena jusqu’au mois d’avril, après une prolongation de deux mois du sursis concordataire. Au mois d’avril eut lieu l’assemblée des créanciers qui accepta, par votation, la liquidation par abandon d’actif. Cette liquidation permettrait de payer un dividende de 45 %, sur les créances de 5e classe, les autres créances étant toutes honorées à 100 %.

On nous fit tout d’abord croire que la liquidation par abandon d’actif faciliterait un rachat de l’entreprise alors que la faillite signifiait une simple vente aux enchères du matériel, donc la non-continuation de l’entreprise.

A chaque fois les promesses de rachat étaient assorties d’une date de « réponse définitive ». La date dépassée on nous disait que cette fois c’était raté, mais qu’il y avait d’autres acheteurs … Pour éviter une confrontation ouverte les commissaires n’en étaient pas à un mensonge près.

Outre ce type de mensonge il y avait le chantage : une simple conférence de presse faite pour informer l’opinion publique de ce qui se passait à propos de cette entreprise fut prise comme prétexte pour [*expliquer*] expliquant la non réussite de l’opération [*sauvetage*] de Studer SA.

L’homologation de la liquidation par abandon d’actif survint le 8 mai 1982.

Le 24 mai 1982, les syndicats étaient convoqués d’urgence à l’office des faillites. Là, sous la présidence d’un délégué du Département de l’économie publique, les commissaires au sursis devenus liquidateurs nous annoncèrent froidement que tout le personnel restant était licencié. Il subsistait selon eux un espoir de vente de l’entreprise, la date limite était cette fois-ci fixée au 20 juin.

Lors de cette séance, le personnel fut «chaleureusement» remercié pour son assiduité au travail et sa coopération.

Le lendemain eut lieu la première d’une longue série d’assemblées générales du personnel pendant les heures de travail, en présence des syndicats. Le matin même les lettres de licenciement étaient officiellement envoyées. Le patron de l’entreprise avait simultanément joint une lettre dans laquelle il disait que tout mouvement scellerait définitivement la fermeture de l’entreprise. Il était, selon cette lettre, même pas possible « d’informer l’opinion publique » sans mettre en danger les derniers espoirs de sauvetage de l’entreprise.

Cette assemblée désigna une commission mixte cadres/ouvriers pour vérifier s’il y avait réellement des acheteurs potentiels. Elle devait notamment exiger de participer aux négociations avec le ou les éventuels acheteurs.

Une semaine plus tard, après de multitudes tergiversations dues au fait que l’annonce des licenciements avait transpiré dans la presse, le personnel était fixé. [*Des études pour un éventuel rachat*] Il y avait bien des études pour un éventuel achat qui étaient bien en cours, mais rien de précis. Un plan social fut alors décidé par les travailleurs. Il prévoyait entre autre, la mise en commun des délais de licenciement, de telle façon que ceux qui ne trouveraient pas un emploi avant l’échéance de leur délai puissent bénéficier des délais de congé de ceux qui auraient trouvé un emploi. En outre, ce plan social prévoyait la mise sur pied d’un fonds permettant de régler les cas dits difficiles : frontaliers, personnes âgées, etc.

La semaine suivante, l’assemblée adopta ce plan social et elle lança un ultimatum de comme quoi il y aurait grève si des négociations ne s’ouvraient pas immédiatement pour négocier ce plan social. Cet ultimatum donnait le lundi suivant comme date limite pour l’ouverture de la négociation.

Durant cette semaine commença alors une incroyable partie de cache-cache de la part des Associations patronales (ASAG et IGS), des commissaires liquidateurs et de M. Borner, chef du Département de l’économie publique, pour ne pas négocier. Chacun se dérobait en se déclarant incompétent. Finalement ce petit jeu nous mena à l’Office des relations du travail qui voulait à tout pris nous amener [*devant*] à l’Office de conciliation.

Lors de l’entrevue avec cet Office, le vendredi [*11 juin 1982*], les syndicats et la commission ouvrière déclarèrent qu’il y aurait grève s’il n’y avait pas négociation sur le plan social avant le mardi suivant.

L’Office de conciliation s’engagea alors à convoquer le Département de l’économie publique, l’ASAG et l’IGS, les commissaires liquidateurs pour le lundi matin 14 juin 1982.

Ce lundi n’étaient présents qu’un délégué de l’ASAG comme observateur, un des liquidateurs et avec demi-heure de retard.

Le Département de l’économie publique [*avait refusé de venir,*] refusait d’être présent soi-disant pour « ne pas entraver les relations entre partenaires sociaux ».

Entre-temps on avait appris que[* l’Office*] e Tribunal de conciliation n’était pas compétent pour traiter de ce problème.

Les liquidateurs nous expliquèrent qu’ils n’étaient pas non plus compétents pour négocier un plan social [*qui soit conforme au CCT SLP/ASAG et à la convention professionnelle USL/IGS.*]

L’ASAG nous dit qu’elle pouvait tout au plus envisager le problème juridique posé par les indemnités de départs prévues à l’art. 43 du contrat SLP/ASAG.

On décida alors de convoquer le personnel Studer SA pour le lendemain à 14 heures.

Au milieu de cette assemblée un commissaire liquidateur vint. Il nous informa de ce qui suit :

-* l’entreprise serait fermée le 1er juillet 1982;

-* les salaires de juin n’étaient pas garantis (80% de chance qu’ils soient versés);

-* les créances des travailleurs (13e mois, délais de congé, vacances) devaient être produites et seraient versées après un délai pouvant aller de 6 mois à 15 ans, selon le rythme de liquidation des actifs.


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En plus de tout cela les commissaires demandaient que les travailleurs continuent tranquillement leur travail jusqu’à fin juin.

Après diverses questions dont les réponses confirmaient toutes que les travailleurs avaient été bernés durant l’année écoulée, le commissaire fut prié d’évacuer l’assemblée. La commission ouvrière demanda alors une suspension d’assemblée pour pouvoir ensuite faire les propositions de lutte nécessaires avec les syndicats.

Une grève avec occupation de l’entreprise jour et nuit est proposée. Le mouvement est reconductible tous les deux jours. Le vote pour adoption est fait à bulletins secrets.

Il aboutit à un résultat clair et net (37 oui, 7 non, [*sur les 58 concernés plusieurs étaient déjà en vacances, certains au service militaire ou en congé de maladie).*] Les cadres [*ont*] votent aussi [*voté*]. Le mouvement commence [*alors*] immédiatement.

L’occupation s’organise. Quatre équipes sont formées. Instruction est donnée de ne rien laisser sortir de l’entreprise. Visiblement chacun s’attend à un mouvement de longue durée.

Côté syndical, les comités de section siègent en commun dans les locaux de l’entreprise. La commission ouvrière est conviée à leurs travaux. Il est décidé de convoquer une assemblée commune des deux sections pour le mardi suivant. Ordre du jour: organisation d’un débrayage commun lancé dans [*les deux sections*] toute la section.

Dès l’annonce de la grève tout s’accélère. M. Borner, chef du Département de l’économie publique, trouve tout à coup un trou dans son agenda pour nous recevoir le lendemain matin à 10 h. Les associations patronales daignent venir s’assoir à une table pour discuter. Des séances de négociation où [*assiste*] toute personne ayant une compétence quelconque sont mises sur pied à toute allure.

On devient prioritaire parce qu’il y a la grève et qu’il faut la faire cesser au plus tôt.

C’est en convoquant le comité de soutien qu’on vit la faiblesse insigne de « la gauche » organisée. Celle-ci, visiblement désorientée par l’entrée en Suisse d’une nouvelle vague de la crise du capitalisme, n’avait pas [*rien*] grand-chose à offrir d’autre qu’un vague soutien « moral » et quelques centaines de francs.

[*Des représentants de grandes fédérations trouvèrent toutes sortes de prétextes pour ne pas participer à ce comité de soutien et montrèrent par là qu’ils ne l’estimaient pas important.

Une souscription à diffuser dans les principales fédérations fut même bloqués, ce qui montre que la solidarité inter-branches n’est pas encore jugée nécessaire par certains cadres syndicaux.

Quoi qu’il en soit, le comité de soutien put récolter, essentiellement au travers de récoltes militantes, la somme de 34’551 francs, qui fut entièrement mise à disposition des travailleurs de Studer.
*]

L’entrevue avec M. Borner vaut son pesant d’or. Celui-ci ouvrit la séance en nous annonçant qu’avec la liquidation de l’entreprise la vente devenait plus facile. Il nous pria de réfléchir si cette vente serait plus facile dans un cadre de grève que dans un cadre de paix sociale et de travail (le chantage et le mensonge pour faire cesser la grève !). Il nous expliqua ensuite qu’en Suisse on vit dans un état démocratique où les pouvoirs politiques et judiciaires sont séparés. Enfin il nous dit que si on n’était pas content qu’on n’avait qu’à aller en Russie.

[*Les ouvriers eurent 3 minutes pour exposer leur problème et Borner parla ensuite 25 minutes pour nous expliquer son programme.*]

Tout le programme de la démocratie [*bourgeoise, en Suisse comme ailleurs,*] est dans cette explication: les patrons ont tous les pouvoirs pour faire du profit. Ensuite, lorsqu’il y a une banqueroute, l’Etat intervient, se substitue au capitaliste industriel pour liquider la société et brader les emplois.

En passant l’Etat défend pied à pied les intérêts des autres bourgeois dits créanciers de la société en faillite, notamment en écrasant, en éliminant les « créances » des travailleurs sous le prétexte que celles-ci existaient tant que ça allait bien, mais qu’elles disparaissent en « situation exceptionnelle de liquidation d’une société parce que l’Etat n’est lié à aucun contrat collectif, et la loi sur les faillites est interprétée par des créanciers qui ont des biens en danger » [*({sic} les liquidateurs)*].

Les travailleurs, eux, n’ont pas de bien. Ils sont une charge, deviennent des cas sociaux quand ils ne se défendent pas, et des ennemis lorsqu’ils se défendent.

Borner avait tracé le programme. Malgré « la séparation des pouvoirs politiques et judiciaires », la justice représentée par les liquidateurs de la société Studer SA suivit mot à mot ce programme. On s’aperçut alors que les lois elles-mêmes sont faites pour défendre « ceux qui ont du bien » contre ceux qui n’en ont [*pas*] point.

Cela se confirma lors des négociations sur le plan d’ensemble proposé par les travailleurs. Ce plan, dans un premier temps, personne n’était apte à le négocier. Les négociateurs patronaux et les commissaires proposèrent de passer immédiatement au « reclassement des travailleurs ». Pendant deux mois personne ne voulut [*jamais*] être compétent pour négocier ce plan d’ensemble. Tout le monde se cachait derrière le bouclier de la loi.

[*{{{**La grève}}}*]

En commençant la grève quinze jours avant la fermeture de l’entreprise nous savions qu’il fallait avant tout surseoir à la fermeture pour trois principales raisons :

-# maintenir un potentiel de lutte;
-# faire en sorte qu’en cas de replacement des travailleurs nous ayons un minimum de contrôle;
-# dans l’immédiat il fallait à tout prix maintenir les ressources des travailleurs pour qu’ils puissent tout simplement survivre.


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La première semaine fut utilisée à augmenter la pression sur les négociateurs. L’élément principal de ce surcroît de pression était le débrayage des sections.

Lors de l’assemblée forte d’une centaine de membres, malgré l’opposition des centrales syndicales, l’assemblée vota le débrayage à l’unanimité avec une abstention.

Le préavis de débrayage fut immédiatement envoyé à toutes les composantes de la partie adverse: Département de l’économie publique, liquidateurs de l’entreprise, associations patronales ASAG/IGS.

Nous reproduisons ci-après ce préavis de débrayage. {(voir en page 13 de la [brochure->doc1121])}

[*Les syndicats enregistrèrent une émission d’une heure et quart qui fut diffusée sur une radio libre dans la région genevoise. Elle expliquait l’affaire Studer, faisait l’appel au débrayage pour les ouvriers des imprimeries genevoises et elle convoquait tous les travailleurs à apporter leur soutien aux grévistes lors d’une manifestation qui eut lieu le 30 mai 1982 devant l’entreprise.*]

Rien ne ressortit des négociations, quoique les commissaires liquidateurs commençaient à être coincés sur leur propre terrain. De plus en plus il s’avérait que leur décision de fermer le 1er juillet 1982 était absurde.

Tout le monde dut en convenir, ce qui aboutit à la lettre suivante: {(du 24 juin [visible->doc1121] en page 14)}

Le vendredi 25 juin, lors d’une séance du Grand Conseil genevois, malgré un plaidoyer truffé de contre-vérités du Conseiller d’Etat Borner, le Grand Conseil vota une résolution modifiée, proposée par les partis de gauche, modifiée par les libéraux. Cette résolution avait cette teneur suivante :

{Le Grand Conseil invite le Conseil d’Etat a poursuivre ses interventions auprès des institutions bancaires cantonales pour voir dans quelle mesure pourraient être garanties, dès lors que le travail reprendrait immédiatement et que les actifs en cas de vente couvrent notamment les nouveaux engagements, les créances des travailleurs constituées par les salaires mensuels durant le délai de congé vis-à-vis de l’entreprise en liquidation.}

On le voit, de la formulation extrêmement tortueuse, il ressortait que le Grand Conseil marchandait clairement l’arrêt de la grève. Contre cela il indiquait aux Banques cantonales genevoises qu’elles pouvaient débloquer l’argent liquide pour payer la prolongation de l’exploitation.

Cette résolution devait être abordée avec prudence, surtout que dans le même temps on nous annonçait que les acheteurs « potentiels » se dégonflaient l’un après l’autre.

L’assemblée générale du lundi suivant fut continuellement entrecoupée de coups de téléphone. Rien de précis ne put être décidé. Immédiatement après la commission ouvrière se réunit pour faire le point.

Le problème qui se posait était évidemment important: il fallait examiner la reprise du travail dans des conditions qui prolongeait l’exploitation de l’entreprise. Ce qui était sûr c’était qu’il fallait d’une manière ou d’une autre profiter de l’ouverture obtenue au Grand Conseil.

La commission ouvrière après une longue discussion décida alors de proposer la reprise du travail avant le 1er juillet1982, de telle manière qu’on ne puisse pas se baser sur le fait que la grève continuait le 1er juillet (jour de fermeture présumée de l’entreprise) pour ne pas payer les délais de congé légalement dus.

Le problème principal était que cela coupait le débrayage des sections syndicales : on ne pouvait pas appeler à débrayer pour une entreprise qui avait repris le travail.

L’assemblée générale, finalement, adopta ce point de vue. Le travail reprit le 30 juin 1982 au matin, après 15 jours d’occupation et de grève.

Un protocole dans lequel les commissaires liquidateurs concédaient deux mois de prolongation de l’exploitation de l’entreprise avec garantie des salaires fut signé après 10 jours de tergiversations. Les liquidateurs, pour ne pas avoir l’air de céder, avaient à considérer la prolongation de l’exploitation comme leur victoire alors [*qu’ils ne faisaient que satisfaire*] c’était une des revendications des travailleurs.

Dès lors pouvait commencer la liquidation de l’entreprise.

{{{***La liquidation}}}

Pour les travailleurs cela équivaut à être considérés comme de la marchandise, force de travail à être placé. Le service d’état correspondant est le bureau de l’emploi, partie de l’Office cantonal du chômage.

Son rôle est essentiellement de vendre la marchandise au mieux.

Les Associations patronales apparaissent comme les acheteurs de lots à la criée. L’un informe des qualités ou des défauts: professionnels, auxiliaires, état de santé excellent ou déficient. Les Associations patronales enregistrent, fichent, afin de transmettre le catalogue aux différents patrons. Et parfois, comme aux enchères sans concurrence, les lots sortent fortement dépréciés.

C’est dans cette partie de la liquidation, celle du personnel, que se voit l’aspect le plus monstrueux du système. [*Certains*] Des lots partent mal, ils sont considérés comme une marchandise avariée [*et*] appelés « cas sociaux ». La caisse de chômage compense alors les carences du capitalisme en accordant tout juste de quoi survivre (65 % du dernier salaire).

La grève et l’occupation influencent la manière dont les lois partent. Plus on a été ferme plus on s’attire le respect, si ce n’est la crainte. Pour désamorcer les possibilités d’une lutte plus longue, le capital la démembrer, de telle manière que « ça fasse moins de bruit ».

La liquidation du personnel est toujours la première opération parce que c’est une marchandise qui rapporte: elle produit ce qu’elle coûte, plus une plus-value dont le capital ne peut se passer pour son profit.

Ensuite vient la liquidation du matériel. Le 1er septembre 1982, le 80 % du personnel était liquidé. L’étiquetage du matériel avait été en partie effectué. Le matériel est ensuite rangé et vendu à des sommes correspondant à son état d’amortissement, souvent même au prix de la matière première recyclable qu’il contient. Quant au carnet de commandes ou aux clients, les entrepreneurs des autres entreprises se ruent dessus comme des vautours. Des clients restent à Genève, d’autres vont ailleurs.

Ainsi un instrument de production appelé usine, qu’il a fallu des années aux travailleurs pour en faire un moyen efficace, qui a rapporté pendant plusieurs décennies une plus-value redistribuée sous forme d’intérêts, de rentes hypothécaires, devient en quelques mois un cimetière à ferrailles simplement parce que les lois du marché ne sont pas basées sur les besoins mais sur la soif de profits des propriétaires de capital.

La lutte aura servi à préserver certains intérêts des travailleurs: les délais de congé [*furent prolongés*], les vacances ont été payées[* et purent être prises*]. Le replacement s’est fait plus vite et à des conditions honorables, à part quelques cas qui, vu leur âge, n’avaient d’autres [*choix*] droits.

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Mais, ce qui est plus important encore, la lutte a mis en évidence un certain nombre de rouages de la machine d’Etat avec leur spécifique. Il faut nous y arrêter un moment.

Le rôle de l’Etat

Dans le cas présent le patron était évidemment considéré comme un mauvais patron incapable de gérer comme il faut son affaire. Ce que défendait l’Etat c’était donc les autres capitalistes contre ce «mauvais patron». Ces autres capitalistes, évidemment, étalent les banques d’une part et les «créanciers» d’autre part, ces derniers ayant accepté vraisemblablement de monnayer leurs créances contre une augmentation régulière du taux d’intérêt qu’elles rapportaient. L’Etat était donc chargé de défendre la masse des prêts bancaires et des créances changées en capital portant intérêt contre !’entreprise «mal gérée» par un «mauvais patron».

Donc, au premier abord, tout se passe comme SI la faute était à mettre sur le dos d’un «mauvais patron». Cela permet de ne pas attaquer le système à sa base. Trop de gens se disant à gauche tombent encore dans un tel piège !

Dans la foulée, tout est tenté pour faire accroire qu’un des facteurs de la faillite faisant partie de la «mauvaise gestion» serait le niveau «anormalement» élevé des salaires. (Après vérification et comparaison cet argument s’avère d’ailleurs parfaitement faux).

L’Etat est constitué de plusieurs rouages qui tous ont une fonction soumise à sa vocation générale: défendre les intérêts des possédants. Dans l’affaire Studer les travailleurs ont été confrontés directement à deux Départements: l’économie publique avec Borner comme chef; la justice et police avec Fontanet comme chef.


Le rôle du Département de l’économie publique a été surtout idéologique: fournir aux liquidateurs les arguments pour que les travailleurs ne se battent pas ! Il y a eu deux rencontres entre délégations de travailleurs et Borner. Lors des deux rencontres le même discours a été tenu qui reflétait la croyance inconditionnelle aux vertus du capital. Les subordonnés n’ont fait qu’appliquer cette croyance en nous noyant sous des montagnes d’articles de loi qui tous d’une manière ou d’une autre interdisaient les solutions que nous préconisions. Les différents Offices du département sont intervenus à mesure que la «rationalité» capitaliste (lire la liquidation de l’entreprise) avançait. Ainsi, lorsqu’on demanda une entrevue avec Borner pour savoir où en étaient les promesses faites, par exemple sur la négociation d’un plan social, ce dernier nous renvoya à un de ses services, l’Office des relations du travail, qui lui-même nous recommanda de nous adresser à l’Office de conciliation qui se déclara incompétent également en vertu de la loi. A l’intérieur du système étatique, il n’y avait qu’une voie possible: accepter la fermeture, se livrer aux mains de l’Office de chômage et de ses « placeurs ».

Le Département de justice et police apparaît comme le simple exécutant des buts généraux fixés par le Département de l’économie. L’Office des faillites fait partie du Département de justice et police. Il a été chargé d’exécuter la faillite en usant pour ce faire de toute l’autorité de la loi dite «neutre». Ainsi, pour les liquidateurs, les travailleurs étaient une charge venant «piller» le gâteau qu’ils étalent chargés de redistribuer aux créanciers, un peu comme s’ils étaient les exécuteurs testamentaires de la «succession Studer SA». La vente de l’entreprise en vue de sa continuation pour maintenir l’emploi ne les intéressait pas. Ce qu’ils voulaient c’était surtout liquider, au plus vite, et montrer un «bilan» positif aux créanciers en diminuant au maximum la part des travailleurs.


La subordination totale du Département de justice et police à celui de l’économie publique reflète fidèlement la subordination de l’appareil judiciaire et des lois aux classes possédantes. Mais la division du travail entre les deux départements permet de savantes manipulations en déresponsabilisant tout le monde.


Dans le fond, on peut constater que l’Etat est là pour gérer le système économique de libre marché existant. Pour cela il doit garantir le fonctionnement des mécanismes qui mènent au profit. Il commence donc par obtenir la soumission à ses lois de ceux qui procurent le profit: les travailleurs. Il fait fonctionner le rapport salarié en tout premier lieu, et quand celui-ci se grippe, il prend en charge les dégâts, notamment en utilisant l’assurance chômage. Mais pour rien au monde cet Etat n’accepterait de maintenir l’emploi, par exemple en intervenant dans la gestion de l’entreprise. Ainsi il préfère perdre 10 millions à financer le chômage, plutôt que d’en perdre 1 en le plaçant dans une entreprise pour lui permettre de résister à ses concurrents (il faut évidemment préciser que ce sont les travailleurs qui paient le tout !)

La contrainte permanente à l’égard des travailleurs pour qu’ils acceptent les mécanismes qui mènent à leur exploitation et qui permettent la liberté des exploiteurs, telle est la tache de l’Elat.


On peut se poser la question: si la gauche était majoritalre dans l’Etat que se serait-il passé ? En observant comment s’est produite la liquidation de Studer SA il faut admettre que certaines formes auraient changé. Mais le fond, le maintien de l’exploitation, n’aurait pas changé. Ce qu’il faut bien se mettre en tête, c’est que la gauche actuelle a inscrit dans son programme le droit à l’emploi. Elle l’a inscrit sans modifier quoi que ce soit aux mécanismes de production. Tout reste soumis aux mêmes lois fondamentales, par conséquent elle se retrouvera confrontée aux mêmes contradictions et sera amenée finalement et malgré elle à accepter les mêmes mesures que la droite.

Le capitalisme est un mode de production reproduisant une classe bourgeoise fait pour le gérer. Quand la gauche arrive au pouvoir et qu’elle ne change pas le fond du système, elle commence par l’y aménager, puis elle est entrainée à le gérer. Elle devient alors l’instrument gérant le rapport salarié (donc la soumission des salariés aux salarieurs) et par conséquent gérant les lois marchandes.

Aujourd’hui, la faiblesse politique de la gauche réformiste provient du fait qu’elle n’est pas une alternative dans le fond. Une alternative est une gauche qui constate l’échec du capitalisme et qui essaie de se battre pour une société dans laquelle les travailleurs ne sont soumis qu’à leur décision. Cela passe par le refus de toute mesure antisociale. Généralement cette gauche réformiste se présente comme une alternance: de temps en temps la droite, de temps en temps la gauche. Dans ce terme on voit très clairement que n’importe qui peut commuer la tâche de l’autre, parce que cette tâche ne change pas.

En Suisse, cette gauche réformiste ne se présente même pas comme une alternance, mais se contente d’être «le plus fidèle partenaire gouvernemental» (citation Hubacher, président du Parti socialiste suisse). Depuis des décennies elle suit la politique de la droite. Ses ministres siègent dans un gouvernement qui mène ouvertement la politique antisociale d’un Reagan ou d’une Thatcher au lieu de s’y opposer en appelant ses membres à défendre avec les travailleurs un programme contenant les revendications ouvrières.


L’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme est impensable sans l’abolition du salariat. De même la sécurité de l’emploi est impensable si on reste soumis aux lois marchandes. Il faut que la gauche comprenne ces vérités si elle ne veut pas disparaître complètement parce qu’on la confondra avec la bourgeoisie.


A Studer SA, et c’est une loi valable pour l’ensemble de la classe ouvrière, la liquidation provient de la surcapacité générale de production. Studer a été victime du fait que nous autres travailleurs avons trop produit et qu’il fallait une première victime. C’est une loi rivée au capitalisme. Elle s’abolira avec lui.

La lutte syndicale est indispensable : elle nous permet de sauver nos intérêts les plus immédiats dans le cadre de la société voulue par la bourgeoisie. A Studer SA, encore une fois, le bilan n’est pas négatif. Mais il faudra bien que le gaspillage capitaliste cesse et qu’on arrive à une société où l’on produise pour nos besoins, pas plus ni moins, el où l’on organise nos moyens de production pour ne pas arriver à l’absurdité de devoir les détruire par les liquidations, les faillites, les rationalisations, ou moyen ultime la guerre.

Cette absurdité, pas un travailleur de Studer SA ne la nie plus. Partout où l’on voit des emplois disparaître, des usines démantelées, la technique et les fruits de la recherche financée le plus souvent par les deniers publics confisqués à seule fin de perpétuer un système exploiteur, cette absurdité se transforme en une volonté des travailleurs de trouver les moyens de l’éliminer.*]