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Date 22.02.2024
Concerne: Procédure b. 980 – émission «19h30» du 13 octobre 2023 de la Radio Télévision Suisse (RTS), interview de la rabbin et philosophe, Delphine Horvilleur
Madame la Présidente,
Mesdames les Juges,
Messieurs les Juges,
Référence est faite à votre courrier du 22 janvier 2024.
Conformément à votre demande, vous trouverez annexé à la présente l’enregistrement en format Mpeg4 de l’émission concernée ainsi que sa retranscription.
[
La SSR se déterminera comme suit sur la plainte déposée par Madame Bordier (ci-après : la Plaignante) dans le cadre de la procédure citée en marge.
En premier lieu, l’exposé de la SSR démontrera que les conditions énoncées à l’art. 4 al. 2 LRTV sont respectées en l’espèce, à savoir : la possibilité pour le public de se former sa propre opinion et le respect des principes de diligence, transparence et véracité. Partant, la plainte devra être rejetée quant à ce point.
En second lieu, il sera démontré que l’émission querellée ne viole pas les droits fondamentaux et en particulier ne banalise pas la violence, ni ne contribue à la haine raciale. Cela étant, la SSR conteste toute violation de l’art. 4 al. 1 LRTV et ce grief devra également être écarté.
Ainsi, en tant qu’elle vise les art. 4 al. 2 et 4 al. 1 LRTV, la plainte devra être rejetée.
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* * *
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{{{**1. EN FAITS }}}
A l’appui de ses observations, la SSR exposent les faits suivants :
A. DE L’ATTAQUE DU 7 OCTOBRE 2023
1. Le 7 octobre 2023, le HAMAS a mené une attaque surprise de grande ampleur à l’encontre de l’Etat d’Israël.
2. Des combattants rattachés pour la plupart au mouvement islamiste palestinien ont pénétré, lourdement armés, sur le territoire israélien via la terre, la mer et les airs. Ils ont pris provisoirement le contrôle de certaines localités, commettant des assassinats et procédant à des prises d’otages avec une violence inouïe.
3. Environ 1’200 personnes des kibboutz frontaliers de Gaza et du festival de musique Supernova ont été assassinées lors de l’attaque. En outre, 240 personnes ont été enlevées; parmi elles des bébés, des enfants, des femmes et des personnes âgées.
4. Il est établi en date du 13 octobre, date.de l’interview, que les assaillants ont notamment incendié des maisons et tiré sur leurs habitants, exécuté des civils à bout portant dans la rue, tué de très jeunes enfants et abattu ou brûlé dans leurs voitures 270 festivaliers du festival Supernova (source : dépêche AFP du 11 .10.23-TX-PAR-DNK93 / 2086).
{{A. DELPHINE HORVILLEUR }}
5. Madame Horvilleur est rabbine et philosophe française.
6. Figure de dialogue avec le monde musulman, elle a notamment co-écrit en 2017 avec l’islamologue Rachid Benzine un livre intitulé: « Des mille et une façons d’être juif ou . musulman ».
7. Personnalité modérée, elle a donné plusieurs interviews ensuite de l’attaque du 7 octobre 2023, dont un entretien croisé aVec l’écrivain franco-algérien, Kamel Daoud, autour de la question de savoir comme:,t r~prendre. l’initiative diplomatique et éviter l’aggravation des tensions.
{{B. DE L’EMISSION CONTESTEE}}
8. Le 13 octobre 2023, de passage à Genève pour une conférence à la société de lecture, Madame Horvilleur est invitée par l’émission « ’19h30 » afin de partager sa réaction s’agissant de l’attaque du HAMAS en Israël, pays où, précise la journaliste, Madame Horvilleur a vécu.
9. L’interview est enregistrée « dans les conditions du direct » quelques heures avant l’édition du soir du téléjournal. Relevons que ces interviews en différé sont réalisées exactement dans les mêmes conditions que le direct, soit en une seule prise.
10. A la question de savoir si, une semaine après le choc causé par l’attaque du HAMAS, l’émotion est toujours aussi vive, Madame Horvilleur répond espérer ne pas être la seule à demeurer bouleversée et horrifiée par cet événement.
11. Elle explique que de son avis le terrorisme peut toucher tout le monde et cela, n’importe où. Aussi, nous devrions tous, selon elle, nous sentir concerné par les faits perpétrés. Elle affirme que les images de l’attaque étant partagées et retransmises sur les écrans, chacun devient témoin de l’horreur. Elle insiste sur l’importance de dénoncer les faits et cela, peu importe ses affiliations politiques et religieuses.
12. Madame Horvilieur qualifie l’événement du 7 octobre comme un crime contre l’Humanité : «c’est l’Humanité qui est attaquée, ce n’est pas un camp ou un autre».
13. Dans ce cadre, Madame Horvilleur encourage à ce que les discours prononcés sur le conflit soient « extrêmement pensés et mesurés lorsque l’on renvoie à la responsabilité».
14. Elle précise que la grande responsabilité est avant tout celle des assassins : «aucune cause aussi juste et légitime soit-elle, ne justifiera jamais qu’on entre dans un village et que maison par maison on y assassine des bébés qu’on égorge, qu’on viole des femmes devant le cadavre de leur mari».
15. Interpellée par la journaliste qui lui demande si, en tant que « femme de foi et de paix », la paix est encore possible, Madame Horvilleur se confie: « J’ai toujours voulu être optimiste et c’est vrai, j’ai toujours à la fois soutenu le droit d’Israël à l’existence et à la pleine sécurité, mais aussi soutenu les droits des Palestiniens à d’autres conditions à une autodétermination. Mais aujourd’hui c’est vrai que, au coeur de cet optimisme qui a toujours été le mien, j’ai l’impression que le sol se dérobe ».
16. Pour conclure l’entretien, Madame Horvilleur exprime son inquiétude et la nécessité de ne pas importer le conflit en Europe : « Il y a un niveau de haine et de rage qui est incroyable au Proche-Orient. C’est précisément parce que cette rage est terrible sur place que je [Delphine Horvilleur] considère que nous, ici, à distance, avons un devoir moral de ne pas ajouter de la haine à la haine. Au contraire, nous devons rester fidèles à notre humanité et à notre pleine empathie». l’interview se termine ainsi sur ces mots.
17. L’émission « 19h30» porte une attention particuliére à respecter un équilibre général dans la couverture du conflit-israélo palestinien afin de faire entendre tous les points de vue, en particulier depuis l’attaque du 7 octobre 2023.
18. Relevons qu’en raison de sa forte polarisation, un équilibre est également observé dans la mesure du possible en fonction de l’actualité dans chaque édition du téléjournal. Ainsi, l’édition du 13 octobre comprenant l’émission querellée a également diffusé des sujets faisant état du conflit du point de vue palestinien : « Plus d’un million de civils sont contraints par l’armée israélienne à fuir la ville de Gaza» et ·« Annabelle Durand, envoyée spéciale à Ramallah, fait le point sur la situation en Cisjordanie».
19. Enfin, ensuite de l’interview querellée, un papier web a été publié le 13 octobre 2023 sur le média « RTS Info» avec pour titre : « Delphine Horvilleur : Nous avons un devoir moral de ne pas ajouter de la haine à la haine».
20. Cet article résume les propos de la rabbine et indique que selon Madame Horvilleur, « quelle que soit la cause, même si elle semble légitime, rien ne justifie les atrocités telles que l’assassinat d’enfants, les viols ou les horreurs perpétrées».
21. La méthode d’exécution par égorgement, point secondaire du discours de Madame Horvilleur, n’est pas rappelé dans l’article.
{{C. DE LA PLAINTE DE LA PLAIGNANTE}}
22. Ensuite de l’échec du processus de médiation, la Plaignante a déposé plainte auprès de votre Autorité le 18 janvier 2024.
23. La Plaignante reconnaît que Madame Horvilleur est invitée par l’émission afin de témoigner de son émotion à la suite de l’attaque du 7 octobre 2023. Aussi, dans sa plainte, elle relève : « le 13 octobre 2023, au 19h30 de la RTS, Madame Delphine Hon/illeur, rabbin en France, a témoigné de son émotion suite à l’attaque du Hamas du 7 octobre».
24. La Plaignante reproche en substance à la SSR de ne pas avoir corrigé les propos de Madame Horvilleur lorsque celle-ci indique, à une seule reprise, que parmi les horreurs perpétrées, des bébés sont morts égorgés.
25. La plaignante estime que les « bébés égorgés » serait une fausse information et qu’il aurait fallu corriger cela au moment de l’interview. Selon elle, ce fait comporterait un degré de violence absolu à tel point qu’il annihilerait la pensée critique du public et le mènerait à vouloir se venger.
26. Elle relève que ce fait pourrait faire partie de la « propagande israélienne ».
27. Enfin, la Plaignante reproche à la SSR que « te phénomène critiqué » s’est reproduit à tout le moins dans la « Matinale » du 19 décembre 2023.
{{{**II. PREAMBULE}}}
A titre liminaire, la SSR soulève que la Plaignante se réfère dans sa plainte à l’émission d’actualité radiophonique et filmée « la Matinale» du 19 décembre 2023. Dans le cadre de cette émission, la Plaignante allègue qu’il qurait été fait mention par un invité « du phénomène des bébés égorgés» et que ce fait n’aurait pas été « corrigé ».
Constatant qu’aucune réclamation à l’encontre de l’émission susmentionnée n’a été déposée par la Plaignante, la SSR se permet de souligner que ce fait ne devra pas être pris en compte par votre Autorité dans le cadre de l’examen de la cause .
Pour le surplus et à toutes fins utiles, la SSR relève que la confidentialité des échanges lors du processus de médiation n’a pas été respectée par la Plaignante dans sa plainte.
{{{**III. EN DROIT }}}
[*A. A la forme*]
a) Recevabilité de la présente écriture
Par courrier du 22 janvier 2024, l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radiotélévision (ci-après: «AlEP») a imparti à la SSR un délai au 22 février 2024 pour se déterminer sur la plainte déposée par la Plaignante.
Déposée ce jour à un office de poste suisse, la présente écriture est recevable.
b) Recevabilité de la plainte
La SSR s’en remet à l’examen de votre Autorité s’agissant de la recevabilité de la plainte déposée par la Plaignante.
[*B. Au fond*]
Rappelons par ces lignes que la liberté de la presse, de la radio et de la télévision est garantie par l’art. 17 de la Constitution fédérale (Cst.). En outre, la liberté des médias est garantie par l’art. 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH).
[*a) De l’obligation de représentation fidèle des événements (art. 4 al. 2 LRTV)*]
À teneur de l’art. 4 al. 2 LRTV, « les émissions rédactionnelles ayant un contenu informatif doivent présenter les événements de manière fidèle et permettre au public de se faire sa propre opinion. Les vues personnelles et les commentaires doivent être ideritifiables comme tels ».
Le caractère fidèle de la présentation des faits ou des événements ne s’apprécie pas en soi abstraitement, mais se mesure à la possibilité donnée au public de se forger sa propre opinion sur la base de ce qui lui est présenté (MASMEJAN/COTTIER/CAPT, Loi sur la radio-télévision, Berne (Stampfli) 2014, Art. 4, N 31).
Selon la doctrine, le respect de l’art. 4 al. 2 LRTV suppose le respect des principes de libre formation de l’opinion, de diligence, de véracité et de transparence.
[**i. Libre formation de l’opinion*]
En disposant que les émissions rédactionnelles à contenu informatif présentent les faits et les événements de manière fidèle, l’art. 4 al. 2 LRTV impose qu’une émiSSion ne doit pas avoir d’effet manipulateur, Tel est le cas lorsque le public ne peut plus se faire sa propre idée objective sur la base des informations fournies ou de leur traitement (ATF 137 1340, c, 3,1),
Ainsi, sur chaque sujet, la radio et la télévision doivent donner au public les éléments d’information nécessaires pour que celui-ci puisse se forger librement sa propre conviction (MASMEJAN/COTTIER/CAPT, Loi sur la radio-télévision, Berne (Stampfli) 2014, Art, 4, N 37),
Des imprécisions ou des erreurs sur des points accessoires sans influence notable pour la compréhension du thème traité, de même que des imperfections rédactionnelles ne » sauraient être assimilées à une violation de l’obligation de présenter fidèlement les événements (A TF 131 Il 253, c, 3.4),
Afin de vérifier le respect de l’art, 4 al. 2 LRTV par le diffuseur, l’AlEP examine dans quelle mesure le public (1) a pu se faire l’idée la plus juste possible du thème traité et (2) a été en mesure de se forger sa propre opinion (ATF 137 1340, c, 3).
Le principe de la libre formation de l’opinion doit être appliqué à la lumière de la liberté des médias, si bien qu’une violation de l’art. 4 al. 2 LRTV ne doit être admise que restrictivement (art. 10 CEDH, art. 17 Cst). Le Tribunal fédéral rappelle que seule une présentation comportant des manquements graves de nature à manipuler le public peut justifier une restriction à la liberté d’expression au sens de l’art. 10 § 2 CEDH (ATF 131 Il 253, c. 3.4). Il en découle qu’une intervention dans le cadre de la surveillance des programmes ne se justifie pas du seul fait qu’une émission n’est pas satisfaisante à tous les égards, mais seulement lorsque, prise dans son ensemble, elle viole les exigences minimales de l’art. 4 LRTV (ATF 131 11253, c. 3.2 ; ATF 132 Il 290, c. 2.2). Est déterminante l’impression d’ensemble donnée par une émission (ATF 137 1 340, c. 3.2).
En l’espèce, Madame Horvilleur, femme de foi et de paix, est invitée par l’émission « 19h30 » afin de témoigner de son émotion à la suite de l’attaque du 7 octobre 2023. Il est ainsi attendu de l’invitée qu’elle partage son point de vue personnel sur cet événement récent et très douloureux, guidée par les questions de la journaliste.
{In casus}, il est pleinement reconnaissable pour l’ensemble du public que la rabbine est invitée à partager son émotion et que son discours est le reflet de ses perceptions personnelles de la situation. La Plaignante le relève elle-même dans sa plainte. Cela étant, le public est en mesure de se forger une opinion propre.
La SSR relève également que la présentatrice de l’émission « 19h30» a introduit le sujet de l’émission querellée en donnant des informations utiles sur Madame Horvilleur (sa fonction de rabbine et son lien avec Israël) afin que le public soit renseigné et puisse appréhender l’interview en possession de tous les éléments nécessaires à la formation de son opinion.
En témoignant, Madame Horvilleur a pour volonté de faire reconnaître l’inhumanité de l’attaque du 7 octobre. Elle souligne l’importance de ne pas voir cet acte comme le résultat d’un conflit entre deux camps ennemis, mais comme · une menace pour l’ensemble de l’Humanité: « Chacun d’entre nous peut et doit se sentir touché par les crimes dont nous sommes témoins. C’est l’humanité elle-même qui est attaquée, et non un camp en particulier» . Elle insiste sur la nécessité d’une unité collective contre le terrorisme, indépendamment de ses affiliations politiques ou religieuses. Pour Madame Horvilleur, il est impératif qu’en date du 13 octobre, les discours soient « extrêmement pensés et mesurés», en particulier lorsqu’il s’agit d’attribuer « la responsabilité des uns ou des autres». A ce titre, elle souligne que la responsabilité première incombe aux attaquants du 7 octobre. Elle relève que peu importe la cause, même si elle semble légitime, rien ne justifie les actes perpétrés. La rabbine évoque également craindre l’importation du conflit en Europe et le niveau de haine et de rage présent au Proche-Orient. A ce propos elle dit : « C’est précisément parce que cette rage est terrible sur place que je considère que nous, ici, à distance, nous avons un devoir moral de ne pas ajouter de la haine à la haine. Au contraire, nous devons rester fidèles à notre humanité et à notre pleine empathie».
A la lecture de ces lignes, l’on constate que le témoignage de Madame Horvilleur a pour but de dénoncer l’inhumanité de l’attaque, alerter sur l’importation du conflit au Proche-Orient et « ne pas ajouter de la haine à la haine ». Loin d’attiser les oppositions, Madame Horvilleur en appelle à la juste mesure et à l’apaisement.
La Plaignante reproche en substance à l’émission de ne pas avoir corrigé Madame Horvilleur lorsqu’en parlant de la responsabilité des uns et des autres, elle précise que « la grande responsabilité» de l’attaque du 7 octobre 2023 appartient aux assaillants qui sont rentrés dans des villages pour y assassiner « des bébés qu’on égorge» et « violer des femmes devant le cadavre de leur mari» . La Plaignante soutient que « les bébés égorgés» est Une fausse information ou « présentée sans preuve et non confirmée». Selon la Plaignante, la journaliste de l’émission aurait dû corriger les propos de l’invitée à ce sujet.
[*La SSR conteste qu’en date du 13 octobre 2023, « les bébés égorgés» est une fausse information. En effet à cette date, il est établi que des enfants ont été assassinés et parmi eux, des enfants en bas-âge. Quand bien même le processus ayant entraîné leur mort est une question effectivement controversée comme l’attestent les divers « fact checking » réalisés depuis, l’information ne pouvait être considérée comme fausse.*]
Secondement s’agissant de la question de savoir s’il aurait convenu de nuancer cette information, il sied tout d’abord de rappeler le contexte de l’interview.
En effet, celle-ci s’est déroulée dans les conditions du direct, six jours à peine après l’attaque-surprise causant la mort d’environ 1200 personnes, dont pour la plupart des civils. En outre, Madame Horvilleur est invitée par l’émission afin de donner son témoignage et non pour discuter des exactions commises le 7 octobre.
Ensuite, comme démontré ci-dessus, son discours a pour points principaux : la dénonciation de l’inhumanité de l’attaque, la crainte de l’importation du conflit et l’importance de ne pas ajouter de la haine à la haine.
Or dès lors qu’il ressort de l’intervention de Madame Horvilleur que cette dernière a pour volonté de sensibiliser les téléspectateurs aux conséquences destructrices de la violence et exprime son opinion personnelle sur la situation générale au Proche-Orient, il appert in casus que la mention des « bébés égorgés» est un point tout à fait secondaire de son discours, sans influence notable sur le contenu de l’interview, ni la formation de l’opinion du public.
Au vu de ces explications, il convient de constater que l’élément des « bébés égorgés» est un élément secondaire du témoignage de la rabbine. Partant, le principe de libre formation de l’opinion n’est pas violé en l’espèce.
[**ii. Diligence et véracité*]
L’art. 4 al. 2 LRTV fait également peser sur le diffuseur des obligations de diligence dans la réalisation des émissions. Le diffuseur est ainsi tenu de respecter les devoirs essentiels de la diligence journalistique. L’ampleur de la diligence requise dépend toutefois des circonstances concrètes de l’émission et du risque qu’encourt le public de ne pas pouvoir former son opinion en toute indépendance (BARRELET/WERL Y, Droit de la communication, 2ème éd., Berne Stämpfli) 2011, N 896 ss).
Un devoir de diligence accrue s’impose au journaliste lorsque des reproches sont de nature à porter gravement atteinte à la considération d’autrui dans des émissions au journalisme engagé qui soulève de graves reproches à l’égard de la personne directement concernée (arrêt du Tribunal fédéral dz 1er mai 2008 2C.862/2008, C. 7.4).
Il sied de souligner que selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, l’art. 4 al. 2 LRTV n’exige pas que tous les points de vue soient présentés de manière équivalente, sur le plan qualitatif et quantitatif (ATF 131 11253, c. 2.1 ; ATF 1371 340, c. 3.1).
En outre, les diffuseurs doivent s’assurer de la véracité des informations qu’ils véhiculent. Cette obligation s’apprécie au regard des méthodes de travail généralement admises dans la profession de journaliste: effectuer avec soin les recherches nécessaires ainsi que procéder aux vérifications qui s’imposent et 1ue l’on peut raisonnablement exiger eu égard au temps disponible (MASMEJAN/COTTIER/CAPT, Loi sur la radio-télévision, Berne (Stämpfli) 2014, Art. 4, N 44).
Pour que le principe de véracité soit respecté, il faut que l’impression générale qui se dégage de l’émission dans son ensemble soit correcte. Des imprécisions et inexactitudes mineures, de même que des imprécisions au niveau rédactionnel non susceptibles d’influencer notablement la vue d’ensemble sont tolérées. En revanche, une accumulation visant à transmettre au public une impression d’ensemble inexacte · n’est pas admise (BARRELET/WERL Y, Droit de la communication, 2éme éd., Berne (Stämpfli) 2011, N 895).
Le moment déterminant pour estimer si une information est véridique est celui où l’émission est diffusée (Décision AlEP du 19 février 2010, c. 4.3).
En l’espèce, il sied de souligné que Madame Horvilleur est .invitée comme représentante d’une communauté pour livrer son ressenti personnel en tant que témoin. Elle n’est pas la porte-parole du Gouvernement israélien, ni une experte.
Le principe de diligence est respecté in casus. En effet, la journaliste de l’émission introduit le sujet querellé à l’antenne en donnant la fonction et les liens de Madame Horvilleur avec Israël. En outre en formulant des questions simples et précises, le public est parfaitement en mesure de comprendre que la rabbine est invitée à livrer son ressenti personnel. Les téléspectateurs sont ainsi alertes du fait que son discours peut comporter une part de subjectivité.
Les journalistes ont pour responsabilité de se distancier des propos haineux ou diffamatoires. {In casus}, Madame Horvilleur prône avant tout la paix. Elle ne fait mention des «bébés égorgés» qu’à une seule reprise. Il convient pour le surplus de relever que les autres faits dont elle fait mention (que les assaillants sont rentrés dans des maisons et que des femmes ont été violées) ne sont pas contestés en date du 13 octobre 2023.
Il aurait fallu une maîtrise extrême du sujet, dépassant ce qui est attendu dans le cadre d’une interview de ce type, pour être en mesure d’intervenir alors qu’il s’agit d’un élément secondaire du témoignage fourni, qui en outre ne peut pas être considéré comme faux en date du 13 octobre 2023. Partant, le principe de diligence est respecté.
S’agissant ensuite du respect’ du principe de véracité, le fait que des bébés ou de jeunes enfants aient été assassinés le 7 octobre 2023 est un fait établi. Dans sa plainte, la Plaignante procède à une distinction en fonction de ta méthode d’exécution employée. De son avis, l’information des « bébés égorgés » comporterait « une violence énorme » qui dépasserait le degré d’horreur correspondant à l’assassinat en pleine rue ou dans leur maison d’enfants en bas-âge.
La SSR ne prend pas position s’agissant de la question de savoir lequel de ces actes de même nature est d’un degré supérieur à l’autre. La SSR estime que l’élément des « bébés égorgés » est dans tous les cas un élément secondaire du discours de la rabbine (voir chiffre III. i. pp. 9-10). En effet, le message transmis par le discours de Madame Horvilleur est un message pacifiste (ne pas ajouter de la haine à la haine) et appelle à l’unité face à l’inhumanité.
L’impression générale qui se dégage de son témoignage est celui d’une femme de foi bouleversée par les événements et qui craint que ses enfants et petits-enfants ne voient jamais la paix.
Au vu de ces explications et dès lors que l’élément contesté est secondaire, le principe de véracité n’est pas violé en l’espèce.
A la lumière des éléments qui précèdent, les principes de diligence et de véracité découlant de l’art. 4 al. 2 LRW sont respectés.
[**iii. Transparence*]
Selon l’art. 4 al. 2 phr. 2 LRTV, « /es vues et les commentaires doivent être identifiables comme tels ».
Les opinions personnelles de tiers doivent, elles aussi, être identifiables comme telles. Dans la mesure où le principe de transparence est respecté, rien ne s’oppose à ce que les diffuseurs donnent la parole à des représentants de courants de pensée extrêmes, ou laissent libre cours à des invités exprimant des points de vue subjectifs, polémiques, voir provocateurs (ATF 116 Ib 37, e. 8a). En ce sens, la liberté des invités extérieurs est plus grande que celle des collaborateurs des diffuseurs (MASMEJAN/COTTIER/CAPT, Loi sur la radio-télévision, Berne (Stämpfli) 2014, Art. 4, N 50).
Relevons que dans les émissions en direct ou en direct différé, certains risques sont inévitables. Dans ces cas-là, le journaliste doit choisir ses interlocuteurs avec soin selon leur fiabilité, ou alors être préparé à apporter des correctifs (BARRELET/WERLY, Droit de la communication, 2ême éd., Berne (Stämpfli) 2011,N 915).
En l’espèce, l’émission a décidé d’interviewer une personnalité modérée. Le principe de transparence est respecté dès lors qu’il est évident pour le public que la rabbine est invitée pour faire part de son opinion personnelle sur la situation au Proche-Orient.
Pour le surplus et comme souligné à plusieurs reprises, les exactions commises lors de l’attaque du 7 octobre ne sont pas le sujet de l’émission (voir chiffres III. i. pp. 9-10 et III. ii. pp. 11). Il n’était pas prévisible que l’élément « des bébés égorgés » serait soulevé par l’invitée dans son témoignage. Il s’agit là d’un risque inévitable lié au direct et au direct différé.
A la lumière des explications qui précèdent, les principes de l’art. 4 al. 2 LRTV (libre formation de l’opinion, diligence, véracité et transparence) sont respectés, de sorte que la plainte devra être rejetée quant à ce grief.
[*b) Du respect de l’interdiction de discrimination et de banalisation de la violence*]
Selon le libellé de l’art. 4 al. 1 LRTV, « toute émission doit respecter les droits fondamentaux. Elle doit en particulier respecter la dignité humaine, ne pas être discriminatoire, ne pas contribuer à la haine raciale, ne pas porter atteinte à la moralité publique et ne pas faire l’apologie de la violence ni la banaliser ».
Aussi, les émissions ne doivent être ni discriminatoires, ni contribuer à la haine raciale. Toutefois, on ne saurait empêcher les diffuseurs pour ce motif d’éclairer les zones d’ombre de la société en donnant la parole aux représentants de courants ou de mouvements dont les conceptions gênent, voir choquent une large frange de l’opinion (MASMEJAN/COTTIER/CAPT, Loi sur la radio-télévision, Berne (Stämpfli) 2014, Art. 4, N 15).
L’art. 4 al. 1 LRW exclut de faire l’apologie de la violence ou de la banaliser. La loi n’est pas violée si, au sein d’une émission d’information, les images violentes sont nécessaires pour documenter et illustrer au mieux des faits et des événements liés à des conflits, assassinais ou attentats (Décision de l’AIEP b.479, du 5 décembre 2003, e. 4.1.2). Le diffuseur veillera néanmoins à ne pas exposer longuement ou de manière répétée des images avec un tel contenu (Décision de l’AIEP b.380, du 23 avril 1999, e. 6.1.3). Les représentations de la violence ne deviennent illicites que lorsqu’aucun besoin d’information ni aucune dimension culturelle n’en justifie la diffusion, et que la violence semble être montrée comme un comportement allant de soi ((MASMEJAN/COTTIER/CAPT, Loi sur la radio-télévision, Berne (Stämpfli) 2014, Art. 4, N 25).
{In casus}, l’interview ne véhicule pas un message de haine, ni ne banalise la violence. Au contraire, il s’agit d’un message qui appelle à l’unité et à traiter du conflit de façon à ne pas ajouter « de la haine à la haine ».
Ne pas réagir aux « bébés égorgés » ne veut pas dire banaliser la violence, ni ne constitue une incitation à la haine.
Pour le surplus; il convient de relever que la couverture du conflit dans son ensemble est équilibrée. On observe que cet équilibre est également assuré à l’échelle du téléjournal du 13 octobre 2023 (voir les sujets également diffusés dans cette édition du téléjournal : « Plus d’un million de civils sont contraints par /’armée israélienne à fuir la ville de Gaza » et « Annabelle Durand, envoyée spéciale à Ramallah, fait le point sur la situation en Cisjordanie »).
Dès lors que la violence n’est pas banalisée ou mise en relief de façon contraire à l’art. 4 al. 1 LRTV, ce grief devra également être écarté et la plainte rejetée.
{{{**IV. CONCLUSIONS }}}
Au vu des faits de la cause exposés ci-dessus,
Au vu des art. 1 et suivants LRTV,
La SSR conclut à ce qu’il
PLAISE À L’AUTORITÈ INDÉPENDANTE D’EXAMEN DES PLAINTES EN MATIÈRE DE RADIO-TELEVISION
A la forme
1) Déclarer recevable la présente écriture ;
Au fond
1 ) Rejeter la plainte déposée par la Plaignante le 18 janvier 2024 ;
Cela fait,
2) Dire et constater que les dispositions légales en matière de programme n’ont pas été violées ;
3) Débouter tout tiers de toute autre ou contraire conclusion.
* * *
Au vu de [‘ensemble des explications qui précèdent, il appert que l’émission contestée ne viole pas les dispositions du droit des programmes, en particulier les articles 4 al. 2 et 4 al. 1 LRTV. Conséquemment, la plainte populaire, objet de la présente, doit être rejetée par votre Autorité.
En vous souhaitant bonne réception de la présente et de ses annexes, je vous prie de croire,
Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Juges, à l’assurance de ma parfaite considération.
Pour la SSR SRG
Gabrielle Picard
Juriste
Annexes : une clef USB et la retranscription de l’émission