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N° 17 . 7 novembre 2002 . 4″année

A propos de la baisse des taux d’intérêt minimaux du deuxième pilier (II)

{{{**La rentabilité du capital et le 2e pilier }}}

[*Ni la droite ni la gauche «modérée» ne veulent examiner le deuxième pilier sous l’angle des mécanismes économiques, sous l’angle du système. Pourtant, la volonté actuelle de baisser les taux d’intérêt devrait nous mettre la puce à l’oreille. La question est la suivante: y a-t-il vraiment une baisse du taux moyen de profit qui rende difficile, ou impossible, de servir un taux d’intérêt de base de 4 % ?*]

• Christian Tirefort

Tout économiste de gauche un peu sérieux devrait commencer par répondre à cette question. Si aucune réponse n’est donnée, des doutes sérieux sur leur honnêteté intellectuelle seraient permis.

L’économie capitaliste repose sur le sophisme qu’il y aurait deux sources de richesses: le profit capitaliste et le travail. En réalité, il n’y a qu’une source de richesses: le profit capitaliste et le travail. Celle-ci est ensuite répartie par deux canaux qui sont le profit capitaliste et le revenu du travail, le salaire. C’est la répartition de la richesse issue du travail qui est l’objet de la lutte de classe [*1)*].

{{{***Salaires, plus-value et profits }}}

Les revenus du capital, y compris ceux du deuxième pilier, dépendent de l’exploitation du travail. Le résultat de cette exploitation s’appelle la plus-value.

Il faut ici rappeler une relation de base:

– le taux d’exploitation du travail est calculé à partir du salaire et s’appelle plus-value. Si un salarié (appelons-le Gaston) est payé 2000 fr. et qu’il fournit un travail valant 3000 fr., la masse de plus-value sera de 1000 fr. et le taux d’exploitation de 50%.

– Le taux de profit se calcule sur l’ensemble du capital mis en mouvement. Ainsi, Gaston n’actionne pas que sa force de travail mais aussi des instruments de travail reflétés dans ce qu’on appelle du capital. Si Gaston met en mouvement 10’000 fr. en tout (y compris son salaire), le taux de profit sera de 10%, donc 5 fois plus bas que le taux d’exploitation.

Seul le profit intéresse le capitaliste, parce qu’il veut que tout son capital rapporte. Tout est alors entrepris pour faire croire que le capital serait la source de la richesse.

C’est pourquoi la propagande cache l’existence de la plus-value (du taux d’exploitation) pour ne montrer que le taux de profit. Pour revenir à notre exemple, si Gaston n’était payé que 1000 francs pour fournir un travail valant 3000 francs, le taux de profit s’en verrait doublé, il passerait à 20 %. Ce qui serait rendu visible, c’est le doublement du taux de profit et non le fait que le taux d’exploitation serait passé de 50 à 200 %, et qu’il aurait donc quadruplé. Une loi doit être déduite de ce fait: pour un travail de valeur donnée, plus le salaire est bas, plus le potentiel de rentabilité est grand.

Reprenons notre exemple par un autre bout. Si le capitaliste dispose de 20’000 francs par travailleur à rentabiliser, et’ qu’il désire obtenir au minimum un taux de profit de 10 %, il devra doubler le taux d’exploitation pour obtenir son taux de profit. Il n’atteindra son objectif qu’en baissant relativement la part salariale. Celle-ci devra passer de 2000 à 1000 fr. Une deuxième lois de base eut être exprimée: plus la masse de capital mis en mouvement par le travailleur grandit, plus la masse de plus-value doit augmenter pour servir un taux de profit identique.

Revenons maintenant à notre exemple originel et examinons le processus d’accumulation induit par le profit. Le profit est de 10 %, donc de 1000 fr. sur un capital de 10’000 fr. mis en mouvement par Gaston. Après le cycle de production, le capitaliste se retrouve à la tête d’une valeur de 11 000 fr. Il entend que cette somme ait un taux de rentabilité au minimum constant. Il lui faudra alors plus de plus-value pour garder le même taux de profit. Gaston devra par conséquent fournir un travail valant 3100 fr. pour un salaire restant à 2000 francs, il fournira donc une masse de plus-value se montant à 1100 francs à la place de 1000 fr. Cela correspond à un taux d’exploitation de 55 % à la place de 50 %. Si ce taux d’exploitation n’augmentait pas (restait à 50 %) le taux de profit baisserait, il passerait de 10 % à 9,09 %. Notre capitaliste dirait qu’il a un manque à gagner de 1%.

{{{***Exploitation et destruction de capital }}}

Tout cela montre qu’à activité égale et taux d’exploitation constants le taux de profit a tendance à baisser. Il y a deux manières de corriger cette tendance: en augmentant la quantité de travail salarié, donc l’activité sociale (par exemple en embauchant), que les paramètres entre le salaire et la quantité, de capital mis en mouvement restent constants, ou en augmentant l’intensité de l’exploitation.

Cette deuxième solution est toujours privilégiée. Il s’en suit que la masse de capital mis en mouvement par travailleur augmente sans limite et, conséquemment, la pression sur les salaires est de plus en plus forte. Ceux-ci sont pratiquement toujours ramenés à un minimum, parfois «tempéré» par la lutte de classe. La masse de plus-value qu’il est possible d’extorquer rencontre cependant des limites physiques, tandis que le capital à rentabiliser ne cesse de croître.

On arrive nécessairement à une situation où il y a trop de capital à placer pour une activité sociale de plus en plus réduite et où les travailleurs et les travailleuses ne peuvent être exploités encore plus: A ce moment, le taux de rentabilité du capital baisse. Lorsque l’exploitation a atteint un paroxysme, il ne reste qu’une solution: détruire du capital. La concurrence sélectionne le capital détruit.

Lorsqu’ils sont placés sous forme d’actions, les fonds du deuxième pilier n’échappent pas au sort général, leur valeur peut également baisser ou disparaître. L’exemple de Swissair n’est qu’un cas parmi tant d’autres. Les actions Swissair ont toutes dû être «amorties », la perte est définitive. Les paquets d’actions des deuxièmes piliers ont tous subi une baisse substantielle (entre 25 et 40 %), ce qui a entamé pratiquement toutes les réserves constituées dans les années de hausse.

Le « système» se défend évidemment pour maintenir un taux de profit acceptable. Jusqu’à quel point les défenses fonctionnent-elles, ce sera le sujet du prochain article .

[*1)*] Je ne parle pas de lutte des classes (au pluriel), parce que les représentants des salarié’e’s l’ont abandonnée au profit d’une participation minoritaire au Gouvernement et de la paix du travail, qui marquent leur volonté de mener une collaboration de classe (au singulier parce que le partenaire ne collabore pas). Par contre les représentants de la bourgeoisie mènent la lutte de classe, ce qui permet de dire que les reculs sociaux et l’accès de plus en plus inégal à la richesse sont le résultat de la lutte de leur classe.

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N° 18 . 21 novembre 2002 . 4″ année

À PROPOS DE LA BAISSE DES TAUX D’INTÉRET MINIMAUX DU DEUXIÈME PILIER (III)

{{{**Les «défenses» du capital }}}

Face à la baisse tendancielle du taux ·de profit, le capital » dispose de plusieurs moyens qui se chevauchent partiellement; ils freinent la tendance sans pourtant l’éviter. Ils sont de plusieurs ordres.

1. L’augmentation de l’exploitation pour obtenir une masse de plus-value plus grande. Cela a été fortement utilisé ces dernières années et s’est manifesté par une précarisation extrême des rapports de travail et du travail lui-même (temps partiels, embauches limitées dans le temps, blocage des salaires, licenciements massifs, attaques aux acquis sociaux, etc.) Dès les années 70, le compromis social a explosé et laissé la place à une intensification de la lutte de classe menée d’en haut, au nom des actionnaires.

2. Les « spéculations » de tous ordres, en particulier la spéculation boursière. Les années d’or boursières, de 1980 à 2000, ont montré que la destruction de capital est précédée / accompagnée d’une spéculation effrénée. Les capitaux surabondants prennent d’assaut les objets financiers jugés les plus rentables, ou ayant des perspectives «porteuses », et les valeurs que la Bourse leur attribue semblent devoir grimper sans limite. On assiste alors à une «ruée vers l’or» complètement irrationnelle [*1)*], que certains jugent asystémique, c’est-à-dire sans lien avec la mécanique de base capitaliste estimée saine. Aussi «irrationnel» soit-il, ce processus découle pourtant directement du système, il lui est indispensable. C’est ainsi que le capital se défend contre son autodestruction. Mais, dans le cas d’espèce, le remède est à terme pire que le mal, parce qu’il rend ce dernier encore plus destructeur. Il accentue et prolonge la suraccumulation que les salariés ont déjà tant de peine à nourrir en profit.

3. Lorsque l’exploitation est extrême, que la spéculation implose, il ne reste plus qu’à détruire du capital. Les vraies crises économiques jouent ce rôle. Les Bourses chutent, les faillites se multiplient, tout le monde cherche à vendre ses actions à n’importe quel prix. Les groupes industriels apparemment les plus solides s’écroulent (Vivendi, l’empire médiatique Kirch). Le chômage augmente, les travailleurs qui ont encore un emploi s’accrochent et souvent acceptent des sacrifices supplémentaires. L’Etat pare au plus pressé. Parfois il est appelé à la rescousse, on lui demande de s’endetter pour soutenir l’activité (keynésianisme), de soutenir la monnaie ou les symboles économiques (Swissair en était un, il est devenu Swiss; les Américains ont longuement soutenu leurs banques ou leurs fabricants d’avions).

{{{***Spéculation boursière et 2e pilier }}}

S’il n’est pas alimenté en profit le capital n’existe pas. Il arrive nécessairement un moment où la mécanique se’ grippe, où toutes les défenses sont inopérantes, où il faut simplement constater que la richesse subodorée existante n’est en réalité qu’un leurre, parce que ne correspondant pas à une véritable activité sociale qui, seule, peut «rapporter ».

Pendant 20 ans, les fonds du 2e pilier ont surfé sur la vague spéculative. Ils l’ont accompagnée et prolongée. Certains, dans les rangs des salariés, ne se sont pas privés de soutenir cette spéculation en prétendant que les résultats financiers boursiers seraient utilisés« à des fins sociales» … comme si on pouvait rendre social quelque chose qui ne l’est pas!

Tomber dans un tel raisonnement justifierait tous les chauvinismes: si le fruit de l’exploitation est utilisé socialement, on peut exploiter sans limite, et quand il n’y a plus rien à exploiter chez nous, il faut aller le faire ailleurs! Ce serait pour «une bonne cause»! C’est ce qui a été fait dans le tiers-monde, sans scrupule. Et, depuis les années 90, il faut ajouter les pays de l’Est européen au tiers-monde. Pratiquement toutes les entreprises rentables sont aujourd’hui en mains occidentales [*2)*]. De plus, avec de tels raisonnements, on trouve « normale» la libre circulation des capitaux, mais « anormale» la libre circulation des personnes, et on s’attaque aux réfugiés, tant politiques qui fuient des tyrans, qu’économiques qui fuient la misère.

{{{***Un processus inéluctable }}}

En dehors de ces considérations morales, le problème de fond subsiste cependant: lorsqu’il y a surabondance de capital par rapport à l’activité sociale réelle, il faut en détruite parce qu’il ne peut plus être suffisamment alimenté en profit. Le capital se nourrit en effet de l’activité sociale réelle.
Le processus de néantisation de capital n’est pas seulement aveugle, au sens où il n’épargne personne (par exemple il n’épargne pas le 2e pilier contre les autres capitaux). En plus, il est aussi sélectif: les plus forts survivent, les autres doivent s’écraser et, à terme, les «collectivités» devront réparer les pots cassés en reportant sur les services sociaux les charges que les capitaux détruits ne pourront plus endosser. En effet, ce processus est inéluctable. Lorsque Gaston, comme tous ses congénères salariés, masculins ou féminins, est forcé de non seulement fournir le surtravail qui rentabilisera 10’000 ou 20’000 francs, mais qu’il sera chargé de rentabiliser 10’0000, 20’0000 ou 300’000 francs, des limites « physiques» surviennent. Elles sont aujourd’hui atteintes, malgré l’exportation massive de capitaux.

La banqueroute argentine sera suivie de beaucoup d’autres, dans d’autres pays, pas seulement au tiers-monde. Et la méthode Coué, qui consiste à répéter que la reprise est au bout du tunnel, ne servira pas éternellement. Certes, l’économie aura des rebonds, mais de moins en moins haut.

Christian Tirefort

[*1)*] Le Nasdaq, la Bourse des valeurs technologiques, appelée la «nouvelle économie», a grimpé d’une manière fulgurante de sa création au milieu 2000. On a vu alors des entreprises dont la valeur a tellement grimpé qu’il aurait fallu 1000 ans de bénéfices (ratio 1 / 1 000) pour en rembourser le capital, alors qu’on estime.un ratio de 1/ 50 déjà extrême.

[*2)*] Le niveau de vie dans ces pays a massivement baissé. Le chômage y prend des proportions effrayantes. La misère des vieux est sans espoir. Les bons produits industriels ont été vendus à l’étranger. Pendant ce temps une faible couche sociale aux pratiques mafieuses profite sans scrupule et s’enrichit.