Le Procureur des Droits humains, Jordan Rodas Andrade, s’est déplacé à Genève pour contredire les réponses des représentants du gouvernement guatémaltèque qu’il qualifie de déni et de mensonges. Voici son analyse et ses souhaits pour un appui plus ferme de la Suisse au processus de pacification du Guatemala.
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{Interview par Chantal Woodtli du 15 mars 2018, à l’occasion de la visite du directeur de la Procuradoria de los Derechos humanos pour l’EPU du Conseil des Droits humains à Genève.}
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[*{Comment la Procuradoria des Droits humains dont vous êtes le Directeur a-t-elle reçu les réponses du gouvernement guatémaltèque ?}*]
{{Jordan Rodas Andrade}} – Ma réaction face aux violations des droits constatées par les rapporteurs spéciaux est que le gouvernement est dans le déni à propos de toutes les violations des droits humains, sociaux et culturels. De fait le gouvernement freine les mouvements qui souhaitent la pacification du pays, et qui sont soutenus par la Commission internationale de lutte contre l’impunité (CICIG). Le gouvernement a menti dans ses réponses au Conseil des droits de l’homme, il a agi constamment pour faire remplacer le chef de la CICIG qui ne s’est pas laissé intimider et qu’il aimerait remplacer. Il s’oppose constamment au processus de paix engagé depuis 1996 en expulsant, menaçant et en s’attaquant aux personnes qui défendent les droits humains.
[*{De quel temps de parole a disposé la « Procuradoria » des Droits humains pour exprimer son point de vue lors de cet Examen périodique universel ?}*]
Nous avons eu droit à 2 minutes de parole !
[*{Etes-vous personnellement menacé, vous ou vos collègues de la « Procuradoria » ?}*]
{{Jordan Rodas Andrade }} – Il est certain que nous ne pouvons pas travailler seuls et que nous avons besoin du soutien et de l’engagement des associations de la société civile guatémaltèque, des gouvernements démocratiques – comme la Suède qui nous aide beaucoup – de l’Union européenne, ainsi que des organisations internationales et des associations de volontaires qui témoignent directement depuis les zones de conflits. Seuls nous ne pouvons rien, surtout en ce moment crucial où je suis convoqué au Congrès pour avoir – a-t-on dit – offensé l’Eglise et la foi catholique !
Cette affaire repose sur un montage de toutes pièces d’images, diffusées depuis le 8 mars dans tous les médias, quasiment en boucle, pour nuire à ma réputation et à mon travail à la Procuradoria. Cette manipulation a un énorme impact national.
[*{Quel est l’objectif de cette manipulation pour vous nuire?}*]
De fait la Conférence épiscopale a réagi avec une rapidité incroyable à des images mêlant les affiches féministes du 8 mars montrant une vulve, et ma présence, un peu plus loin, à la manifestation de soutien aux familles des 41 jeunes filles mortes dans l’incendie en mars dernier du foyer « Hogar seguro Virgen de la Asuncion », des familles dont je suis solidaire et qui réclame justice pour leurs enfants.
L’explication de cette attaque contre le Bureau du procureur des droits humains est sans doute qu’une élection importante se présente : je suis en effet candidat au poste de Fiscal general, le plus haut niveau de la justice guatémaltèque et j’ai contre moi une partie du Congrès dont 5 personnes très corrompues et mises en cause pour leurs actions dites antiterroristes.
Les mêmes ont, notamment, empêché la diffusion d’une brochure de la Procuradoria sur les droits des femmes liés à la procréation et à la maternité.
Dans le cas des expulsions de populations rurales dans le Peten notamment j’ai contre moi la Chambre de l’agriculture et la faîtière des entreprises et commerçants (CACIF) qui dictent leurs lois au gouvernement. Les autorités civiles indigènes ont immédiatement dénoncé cette manipulation médiatique mais leurs voix comme la nôtre ne dispose pas du tout des mêmes moyens !
Ainsi lors de la tragédie du 8 mars dernier dans ce foyer de jeunes gens mineurs « Hogar Seguro Virgen de la Asuncion 41 jeunes filles ont perdu la vie lors de l’incendie de leur chambre. La police avait pris le contrôle du foyer après une rébellion des jeunes et a empêché les secours d’entrer pour sauver les jeunes filles. Les enquêtes n’avancent pas… le gouvernement préfère s’en prendre aux droits des femmes et des enfants. »
[*{Se trouve à vos côtés un défenseur des droits des mayas. Il s’est rendu à Berne avec le responsable du foyer qui a recueilli les jeunes filles survivantes du 8 mars, qu’attendez-vous des autorités fédérales ?}*]
{{Jordan Rodas Andrade}} – Nous aimerions entendre de votre pays un soutien officiel car nous avons constaté depuis 2 ans une plus grande timidité dans l’attitude de la Suisse. Alors qu’elle s’était engagée dans les Accords de paix en abritant les archives de la guerre civile (qui a pris fin en 1996) pour les protéger de la destruction et lutter contre l’impunité des crimes de guerre, elle semble en retrait aujourd’hui.
Nous attendons aussi une attitude plus cohérente entre la politique et l’économie de la Suisse alors que la situation devient cruciale : on assiste au retour de la politique sécuritaire, de la répression brutale, la « mano dura » après les grandes manifestations de 2015-2016 qui ont rassemblé les peuples autochtones et les personnes dégoûtées par la corruption des structures de l’Etat. Aujourd’hui on voit même revenir au gouvernement des personnes qui ont travaillé sous le gouvernement de Carlos Vielmann, entre 2004 et 2007. C’est un immense recul pour le processus de paix !